Dixième jour du dernier mois de l'an de grâce mil deux cent onze.
Je suis le père supèrieur de l'abbaye de Louvaillac, en pays Gimonait,
et me nomme Fénélon Pesces.
Je ne sais si Dieu m'accordera vie en suffisance pour achever ce que
j'ouvre ici. Mais pour l'heur, il s'agît de planter une graine. La forêt
suivra si tel est sa volonté.
J'ai donc pris décision d'entamer l'histoire de ma vie par mon entrée
en l'état éclésiastique. Je tiens, en préambule à prier le lecteur de
m'accorder son indulgence. Qu'il garde en souvenance que je ne suis pas
escrivain de profession et que mon age a fait par dedans ma mémoire
certains dommages.
Aussi loin que me portent mes souvenirs, j'ai été versé en l'assistance
à autrui. Biensur ce penchant n'a pas été toujours désintérressé. Je
devais assurer ma subsistance. J'appris à soigner les gens auprés d'un
vieil homme de chez moi. Il connaissait fort bien les simples. Nous
vivions en fond d'une étroite vallée des monts de Pyrènne. À sa mort,
je devins pour les gens de l'endroit son successeur en l'état de
rebouteux. Dès lors, je m'efforcais de m'acquitter de la tâche au mieux.
Mais toujours le destin vient contrarier les volonté les mieux trempées.
Et je mis donc à voyager. C'est ainsi que j'encontrais deux compagnons
en Bourgogne. C'est avec eux que je vécu mes derniers temps de laic.
La méchante affaire qui nous retint en ce triste pays, au cœur de
l'hivers, fît sur moi la plus forte et irreversible impression. Nous
eûmes mailles à partir avec une bande de brigands. Ces derniers
faisaient commerce d'enfançons, qu'ils mutilaient pour les revendre
auprès des Princes qui chechaient quelques distractions.
Je crus en devenir fol. Ma raison vacillante failli me faire commettre
l'irréparable. Dans un accés d'ire je manquais d'occire un de mes
compagnons pour protèger le petit monstre, enfant voué contre son gré à
la perversité des puissants. Heureusement, la main divine fît son œuvre,
rappelant l'enfant-grenouille et épargnant mon ami.
Mais tout à la honte dans laquelle je me trouvais, et l'esprit obscurcit
par tant ignominie, je décidais de rompre d'avec mes deux comparses. Ils
redescendirent vers le sud sans moi. Je les suivi du regard aussi
longtemps que je le pus, conscient que je venais de choisir une autre
vie. Puis je me mis en route, laissant dame fortune m'entraîner vers le
point opposé de la rose. C'était comme pour affirmer un bouleversement.
Il me fallu bien des jours pour mener mes pas en Parisi. Jamais je
n'avais vu pareilles choses. Une telle multitude, comme fourmis préssées
autours du gigantesque chantier de la cathédrale à venir. Les gens de
cette cîté, la voulaient plus belle et plus grande qu'aucune autre. Ils
avaient engagé pour l'ouvrage et la grandeur de notre Seigneur tant de
maçons, tailleurs, imagiers, charpentiers, vitriers et tâcheraons que
l'espace du chantier en été emplis tout entier. Il fallait voir quelle
vie que c'était. Le travail durait tout le jour sans répis et à la nuit
tombée, ce sont les miliciens qui tenaient la place. Ils organisaient de
piètre traffic, s'arrangeant avec quelques taverniers pour livrer du
vin, ou avec quelques femmes pècheresses pour vider les poches des
ouvriers.
En entrant par une des portes sud de la ville, je me sentais perdu au
milieu de ces gens affairés. En même moment, effrayé par quelques faces
grimacante et édentées, puis appitoyé par une main tendue par un enfant
borgne ou cul de jatte. Au détour d'une venelle, une catin, la ville
semblait en avoir en suffisance comme Babylone, se rit de moi comme je
refusais ses avances. Deux gamins des rues surgirent et me poussèrent
dans l'égout au milieu de la chaussée sans parvenir à me tirer la besace
ou je gardais mon bien. M'enfuyany en courant, je trouvais refuge chez
un arverne et sa mie qui me servirent une soupe. Au soir, leur fils me
mena à ma demande au nord de la ville, en un monastère bâtit en mémoire
de Denis. Je payais le jeune garçon de mes dernières pièces et la porte
se referma sur moi. Était-ce le bout de ma route?
On m'installa en une cellule dont je ne sortis pas de plusieurs jours,
hormis pour assister aux cinq offices. Puyis le père supèrieur me reçu
en son cabinet. Le pieu homme était plus ridé qu'un vieux chêne, ses
yeux était blanc opaque et avaient céssé de voir depuis des éons. Du
moins c'est le sentiment qui m'habittait. L'homme ne voyaient pas comme
je peux voir, il ressentait les choses profondément. Il lisait mes plus
lointain secrets avec tendresse, comme un père à son fils, au dedans de
mon cœur. Je me sentais apaisé. Il émanait de tout son être une force
pareille à un vent régulier et puissant venus de temps anciens. Je
sentis une chaleur m'envahir comme il se mettait à parler. Il m'invitta
à m'assoir. Ses paroles cotaient l'histoire d'un homme. Ses paroles
firent naître des larmes dans mes yeux. Ses paroles me touchaient car il
parlait de moi. Il parlait de ce que j'étais et de ce que je voulais. Il
parlait de ce que j'adeviendrais itou. Puis après un long discour, il se
tût et me donna congé. Un frère se chargea de moi. De m'instruire, de me
former. Nous devinrent très liés.
Durant des semaines, des mois, j'appris avidement ce qui m'était
indispensable pour devenir un des leurs. Je me sentais habitté par une
intarrissable volonté. De matines jusque tard à la chandelle, je
rougissais mes yeux sur les lignes de gros livres de théologie, mais
également une somme de médecine traduite de l'arabe. Cette traduction me
rappelait de vieux souvenirs en Hispanie, en la cîté de Barcelone. Le
temps s'écoulait sans dommage, ni effet remarquable sur ma volonté et ma
personne. Le père supèrieur avait entrepris à présent, de me parler
régulièrement. Il me sondait dans l'avancement de mon étude, mais itou
dans l'état de mon engagement. J'étais à présent presque un membre de
leur communauté. Je crois que bien des moines m'aimaient comme un des
leurs. Malgré ma faible aptitude à chanter. En mon souvenir, seul le
maître de chœur me regardait entrer dans l'église avec queque
irritation.
Cela faisait plus de deux années que je travaillais parmis ces moines.
Ma vie avait une tout autre tournure et je n'en étais que plus heureux.
Cette nouvelle vie que je m'étais choisi m'apparaisait comme un
accomplissement dédié tout entier à Dieu et à l'étude. Nous approchions
de la fête de la Vierge quand le prieur m'annoça la décision du
père-abbé de m'ordinner en l'occasion. J'étais fou de joie. Je couru à
l'église pour en remercier le Seigneur. Puis je voulu voir le père
supèrieur, mais il refusa ma visite. Et cela de la sorte pour tout les
jours qui précédèrent le mitant du mois d'août. Je ne surai décrire mon
état entre angoisse et colère. Le jour de la cérémonie tout était
oublié.
Je pris mon repas la veille peu avant minuit, afin de me présenter
ajeun comme le veut la règle cannonique, puis je passais la nuit à
dormir et prier pour lutter contre mon agitation. Au matin, on vînt me
chercher pour me conduire à confesse. Après quoi, on me laissa seul une
paire d'heure dans une chapelle pour prier. À l'heure dites, les cloches
sonnèrent, mais personne ne vînt de l'extèrieur. De toutes manières,
c'était ma cérémonie. Deux frères me conduisirent par devant l'autel
face au père supèrieur et au prieur en chasubles pourpres. Je
m'agenouillais et la messe débuta. Mon cœur emplissait toute ma
poitrine. Les vitraux ne m'avaient jamais semblés si lumineux et les
frères, mes frères me parraissaient être les meilleurs hommes s'il en
fût. Au moment, sur l'invitation du prieur, je m'allogais moitié nu sur
le dallage froid, après avoir été oint par le père-abbé. Commenca alors
la prière de toute la communauté qui me recevait, du moins le pensais-je
alors.
Après le repas du jour, le père supèrieur me fît quérir. Il me parla
longuement, cette fois ses paroles eurent pour effet de serrer mon cœur
en un présentiment triste. Il me signifia mon départ pour le lendemain à
prime. Il me donna pour mission de retourner vers mes anciens compagnons
afin de tracer sous leurs pas le chemin du Seigneur. C'était un signe
divin selon le saint homme. Il parla ensuite par énigme, puis me fît ses
adieux.
J'eus juste assez de temps pour partir sans oublier personne. Les
évènements me chassaient encore, mais cette fois c'était la volonté
divine. Je repris la route vers le sud.
auteur: Sylvain Dubois.